Le retour du décor : ce que les fêtes réveillent silencieusement en nous
- Marc Larouche

- il y a 9 heures
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Le temps des fêtes a ce talent particulier de ramener à la surface ce qu’on croyait avoir réglé, digéré ou anesthésié quelque part entre les responsabilités d’adulte et le quotidien trop rempli. Ce n’est pas la nostalgie. Ce n’est pas la magie de Noël non plus. C’est plutôt une friction entre ce qu’on est devenu et ce qu’on a été. Chaque année, je vois des gens arriver en décembre avec cette même posture : un mélange de lucidité, de fatigue et d’espoir un peu fragile. Les fêtes, c’est ce moment où le passé se glisse dans le présent comme un invité qui a perdu l’habitude de frapper avant d’entrer.
Et c’est correct. C’est normal. C’est humain.
L'écho du passé dans le système nerveux
Les théories de l’attachement expliquent bien ce phénomène-là : on peut gagner en stabilité, en maturité, en conscience de soi, mais les anciens schémas, ceux qu’on a appris avant de pouvoir dire qu’on les apprenait, reviennent au contact du décor familial. Siegel dirait qu’on fonctionne par prédiction. Le cerveau ne se demande pas si on est mieux maintenant ; il vérifie si quelque chose ressemble à autrefois. Si oui, il appuie sur un bouton invisible : vigilance, prudence, retenue. Pas par manque de courage. Par fidélité à l’histoire.
Le corps, lui, ne ment jamais. Van der Kolk l’explique : certaines odeurs, certains sons, certaines phrases dites d’une manière trop familière réveillent tout. Pas parce qu’on est faible mais parce qu’on est un être vivant doté d’un système nerveux fonctionnel. Il y a quelque chose de presque mécanique dans cette réaction-là, et pourtant de profondément intime. Une mémoire qui n’a pas demandé notre avis pour s’inscrire sous la peau.
Et puis, il y a les rôles familiaux. Ceux qu’on n’a pas auditionnés, mais qu’on nous a donnés par défaut : le responsable, le tranquille, celui qui absorbe, celle qui “gère”, celui qu’on consulte, celui qu’on écoute trop, ou pas assez. Goffman parlait de scène sociale ; la famille en est le premier théâtre. Le problème, c’est qu’on peut avoir fait toute une vie ailleurs , une vie solide, structurée, réfléchie et se faire réassigner automatiquement à un rôle version “édition 1999” dès qu’on accroche son manteau à l’entrée. Pas parce qu’on a régressé. Parce que le système familial a une mémoire plus tenace qu’un logiciel mal programmé.
En relation d’aide, je constate que les gens ne souffrent pas tant des fêtes que de la pression invisible autour des fêtes. Le mythe collectif de la famille parfaite, la table parfaite, les sourires parfaits. Lahire dirait que la famille réelle est bien plus complexe que cette fiction lustrée. Ce n’est pas votre expérience qui est dysfonctionnelle : c’est l’idéal qui est truqué.
Alors on fait quoi avec ça?
On arrête de se traiter comme si on devait “performer” Noël.
Les fêtes ne sont pas un examen. Vous n’avez pas un devoir à remettre, ni un rôle héroïque à jouer.
On se donne des options et des portes de sortie.
Avoir un plan B (prendre une marche, rentrer plus tôt) n’est pas une fuite. C’est de l’auto-protection. Porges le dit : le système nerveux se calme quand il sait qu’il n’est pas coincé.
On utilise l’humour discret.
Celui qui ouvre un centimètre d’air entre soi et la tension. Martin parle de l’humour adaptatif comme d’un mécanisme de régulation émotionnelle.
On redéfinit les loyautés (la famille choisie).
Choisir de célébrer autrement, plus petit, plus vrai, plus aligné, ce n’est pas renier qui que ce soit. C’est ajuster le contexte pour permettre à l’être humain qu’on est aujourd’hui de respirer.
On cherche les micro-réparations.
Rien d’explosif, juste des instants minuscules où une interaction se passe un peu mieux que prévu. Fosha les appelle des “expériences émotionnelles correctrices”.

Au final, survivre au temps des fêtes, ce n’est pas “tenir bon”. Ce n’est pas “faire comme si”. Ce n’est pas “réussir” Noël. C’est se donner suffisamment de permission intérieure pour rester soi-même, même dans un décor qui a longtemps voulu définir qui on devait être.
Et cette permission-là , silencieuse, simple, un peu imparfaite c’est peut-être la chose la plus humaine qu’on puisse s’offrir en décembre.

À propos du rédacteur
Marc Larouche est intervenant en santé mentale et relations humaines. Fort de ses formations en Droit, Gestion de la santé au travail et Maîtrise en santé mentale, il accompagne les personnes et familles qui portent un fardeau émotionnel trop lourd.





